31 janvier 2017 / Vincent Reuss

Bousculé

Bousculé par la foule à une intersection, je me crispe encore un peu plus. C’est la troisième fois en l’espace de quelques minutes. La flamme de la colère monte en moi. Le goût de l’injustice s’insinue jusqu’aux dernières de mes phalanges closes dans mes poings. Pourquoi ne pas faire attention à moi ? Pourquoi me marcher dessus ? Moi je fais attention aux autres, je suis bienveillant. Pourquoi sont-ils si pressés ? Pourquoi ne font-ils pas attention à moi ?
Vous m’entendez ? Pourquoi me marchez-vous dessus ?
Non, comment pourraient-ils m’entendre si je ne parle que dans ma tête ?
Dans une lente respiration, je reviens doucement à moi, sombrant petit à petit dans l’abattement, et je m’agrippe à mon âme pour ne pas couler complètement. Je me laisse porter par le flux, sans opposer de contrainte, pour garder l’équilibre, comme une coquille de noix dans le caniveau. Et je peux alors lever les yeux pour regarder autour de moi.
Les autres. Pourquoi eux ne me regardent-ils pas ? Sont-ils bien là ? Suis-je la seule âme vivante derrière la façade ? Combien y aurait-il de logorrhée de pensées différentes à se marcher dessus si je pouvais toutes les entendre ? Et si c’était le silence qui l’emportait ?
J’ai une certaine connaissance de moi-même, mais qu’elle est leur connaissance d’eux-mêmes ?
N’est-ce pas mon égo qui me joue des tours ? Mon instinct de survie ?
Non, tout cela est très concret. J’habite mon corps, je le sais, campé sur mes deux pieds. J’ai une tête, un torse, des bras. Cela je le sais. Cela je le sens. Je sens mon corps. Je sens mes bras. Je caresse leur peau. Je joue avec le bouton sous le coude… Comment ça le bouton sous le coude ? Mais !? Mais quelle est cette trappe qui vient de s’ouvrir dans mon avant-bras ? Que sont tous ces câbles ? Oh mon Dieu, je ne suis qu’un robot !

hello [at] backto1984.com