6 décembre 2021 / Vincent Reuss

Le rêveur displiné

  • #poésie

Je suis le rêveur discipliné qui œuvre, sur la brèche, à retranscrire le monde du dedans pour le faire communiquer avec le monde du dehors.

Je suis dans cet état de conscience qui me confère une extrême lucidité, mais où l’effort physique à produire pour noter sur mon carnet les fruits de cette réflexion m’est profondément inaccessible. Tétanisé que je suis par cette vérité qui m’est révélée.

Combien d’idées, de rêves, de nuages, qui pourraient changer la face d’une vie, restent bloqués en-dedans ? Bloqués dans ce moment où le corps n’est plus qu’esprit ?
Dans cet instant où j’écris aussi bien de la main gauche que de la main droite. Dans cette dualité où écrire l’idée tue l’idée.
Combien de vérités se perdent au moment de les formuler ? Combien d’évidences restent muettes car il n’est de mots pour les dire ?

Je travaille la discipline du rêveur à canaliser le flot de ses visions, pour enfin toucher l’impatience de mes veines et permettre au silence de parler.
Et je découvre avec stupeur que s’il est un suzerain du royaume intérieur, il reste sourd à mes interrogations et insensible à mes pleurs.
Il sonde mes envies et mes peurs, et de moi se sert comme un pantin de chair et d’esprit.
Emporté alors sur la houle de sa volonté, je suis le témoin de plus d’histoires que jamais je ne pourrais en vivre.

Je suis le rêveur discipliné qui lutte pour exposer au jour ce qui se joue la nuit. Pour partager ce moment d’extase et faire advenir au monde extérieur les images que je vois quand personne ne regarde. Que restera-t-il au réveil de ces caractères couchés sur ma feuille par la seule volonté de ma main tremblante de joie ?

Déjà la réalité du monde se substitue à la réalité du rêve. Adieu instant de bonheur et d’échange, la vigueur me prend, je sens mes yeux s’ouvrir. La paupière lourde, l’énergie de l’écriture m’est venue à mesure que la voix du dedans s’est tari. J’accélère, je note frénétiquement les dernières bribes de ce que me dicte l’intérieur dont je n’entends hélas plus que les échos.

La philosophie et la poésie sont la même chose avec des mots différents.

La surface piaille mille informations qui reprennent toute la place et se déversent dans les allées de mon esprit qui s’était emmuré pour la nuit.

La poésie est-elle objective ?

Les yeux ouverts, plus de souvenirs, si ce n’est la sensation d’un monde entier qu’on a résumé et qui vient de se dissoudre à l’intérieur de nous.
Dehors les oiseaux chantent l’aube que personne encore ne voit.

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